dimanche 15 novembre 2009

Banlieue

Je ne sais pas combien de fois j’ai dit que je n’aimais pas la cité où je vis. Je ne rate pas en tout cas une occasion pour le dire. Je la hais même. D’abord parce que j’ai été contraint d’y habiter: contraint par la modestie de ma bourse et par la spéculation immobilière qui m’avait rendu accessible ce coin où la poussière succède à la boue et la boue à la poussière.

Je ne l’aime pas parce que c’est une masse hétérogène d’individualités très diverses d’éducations antinomiques. Je ne l’aime pas parce que la mauvaise foi voisine avec l’hypocrisie et cohabite avec la bigoterie et la forfanterie.

Il y a bien çà et là des oasis de courtoisie, de politesse et de savoir-vivre, mais elles sont noyées dans l’impitoyable loi de la jungle où la raison du plus fort est toujours la meilleure. Mais la cité demeure quand même le thermomètre infaillible de notre cité: quand le pays s’enrhume, la cité tousse affreusement. Et quand des voix modérées s’étonnent de la non-application des lois de la République, la cité en montre un échantillon fort éloquent.

Allié au manque de civisme d’une population qui s’estime délaissée et marginalisée par les pouvoirs et services publics, le défi aux lois s’exprime non seulement par les diverses entorses aux règles urbanistiques, aux greffes et aux transformations imposées aux balcons et devantures des bâtiments, mais aussi par la montée irrésistible du commerce informel qui avait commencé au moment même où la République prise de vertige vacillait.

Malgré les incessants efforts de la maréchaussée qui, d’une manière sporadique, avait tenté à maintes reprises de décourager les téméraires trabendistes qui prenaient pied sur le trottoir de cette grande allée qui balafre la cité, ceux-ci revenaient aussitôt plus hardis qu’auparavant. Et un modus vivendi s’était tacitement établi entre les forces du désordre et la discrétion de l’ordre. Tout avait commencé avec les revendeurs de cigarettes, ces jeunes gens rejetés par l’école puis par la famille.

Installés à chaque coin de rue, ils vendent leur poison sous l’oeil débonnaire des agents de police plus vigilants à l’endroit des taxis clandestins. Puis aux vendeurs de tabac, sont venus s’ajouter les marchands de cacahuètes qui, chaque après-midi, parfument les allées avec leurs grillades.

Ils sont arrivés même à proposer du thé chaud pour accompagner arachides, noix et pistaches exposées sur des étals de plus en plus imposants.
Evidemment, il est inutile de citer ceux qui vendent la pacotille habituelle à des prix qui font enrager les commerçants patentés: peignes, mouchoirs, lames, rasoirs, cosmétiques, savons, équipements électriques...

On trouve tout sur nos trottoirs! Ce spectacle d’une foule nombreuse, qui déambule au milieu d’étals improvisés, n’est pas seulement l’apanage des journées de Ramadhan où tout est permis pour arrondir ses fins de mois: herbes aromatiques, pois chiches trempés voisinent avec un poisson qui n’est pas de toute première fraîcheur et que les multiples arrosages d’eau salée n’arrivent plus à lui donner le lustre souhaité.

Le comble est atteint quand, au crépuscule, après l’Adhan, des barbecues sont dressés sur les trottoirs.

De jeunes gens barbus allument activement les braises, sortent des corbeilles de pain frais et alignent des brochettes sur un large gril, répandant dans l’air déjà saturé par les relents d’essence et de gaz d’échappement, une appétissante odeur de viande grillée. Et tout cela sous un éclairage public déficient. Il faut dire qu’à côté, Bordj El Kiffan anéantie par le chantier du tramway, a fermé ses gargotes.

Selim M’SILI

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