Farouk Hosni avait promis qu'il démissionnerait de son poste de ministre de la Culture de l'Egypte si sa candidature à la direction générale de l'Unesco n'était pas retenue. Prudent et avisé, il avait ajouté : «A condition que sa démission soit acceptée par le président Moubarek.».
Or, le Raïs n'est pas du genre à dire au meilleur ami de la famille : «La démission que vous comptiez me présenter est acceptée.» On n'aura donc même pas le plaisir de voir un ministre qui essaye de partir en claquant la porte et un président qui feint de vouloir le retenir mais arrive trop tard. Pourtant jamais une candidature du tiers-monde à la direction de l'Unesco n'avait été engagée dans des conditions aussi favorables. Même les observateurs les plus sceptiques prédisaient à Farouk Hosni une victoire facile. Hosni Moubarek a pesé de tout son poids auprès de ses pairs arabes, africains et musulmans pour s'assurer leur soutien.
Il avait même obtenu, diton, la promesse que les Israéliens ne manifesteraient aucune hostilité à son poulain (si l'expression est de mise). Normalement, le ministre de la Culture égyptien devait mener la course seul en tête, avec tous les Arabes derrière lui. Pour faire bonne mesure, Farouk Hosni avait fait acte de repentance publique et sincère pour ses propos antijuifs devant le parlement égyptien. Interpellé par un parlementaire islamiste en 2008, le ministre de la Culture avait démenti l'entrée d'ouvrages israéliens dans les bibliothèques d'Egypte. «Si je trouvais un de ces livres, je le brûlerais moi-même», avait-il ajouté.
En mai dernier, il avait publié une tribune dans le journal Le Monde, s'excusant pour ces propos maladroits et rejetant les accusations de racisme. Avec ce mea culpa, Farouk Hosni paraissait avoir fait le plus dur et on semblait s'acheminer vers l'apothéose finale. Mais le rêve s'est écroulé mardi soir à Paris. Le candidat que l'on disait prêt à aller prendre des cours tout neufs d'hébreu à l'Université d'Alger a désigné les Etats-Unis et le «lobby juif» comme responsables de sa défaite. Puis il s'en est pris à la candidate équatorienne d'origine libanaise, Yvonne Abdelbaki, qui aurait pris une part active dans le complot dirigé contre lui.
En réalité, note le poète saoudien Ghazi Kosseïbi, candidat malheureux au même poste en 1999, il n'y a aucun complot. La vérité, dit-il, dans une contribution au magazine Elpah, c'est que les Egyptiens ont été naïfs au point de croire à un vote des pays européens favorable à Farouk Hosni. Or, nous avons assisté, à l'Unesco, à une confrontation entre le nord et le Sud, et chacun des deux blocs a voté en faveur de son candidat. Il se trouve simplement que les pays occidentaux qui se sont longtemps désintéressés de l'Unesco, veulent désormais que cette organisation revienne dans leur giron.
Ils ont fait le nécessaire pour cela avec l'aide de la cinquième colonne dont ils disposent dans nos pays du Sud, conclut Ghazi Kosseïbi. La presse et les intellectuels égyptiens, dont certains étaient franchement hostiles à la candidature de Farouk Hosni, se sont engouffrés dans la théorie du complot. Pourtant, certains confrères égyptiens avaient mis en garde contre l'excès de confiance.
Hosni Moubarek, trop occupé à empêcher d'autres candidatures arabes, n'a pas essayé de dissuader d'autres, comme celle de la Bulgare Irina Bukova. Quelques jours après ce «mardi noir» égyptien, la fièvre est un peu retombée, et certains confrères égyptiens n'ont pas craint de braver l'union sacrée qui s'est formée autour de Farouk Hosni. C'est le cas de Mohamed Ismet qui remet en cause, dans le quotidien Echourouk du Caire, le principe même d'une candidature égyptienne à l'Unesco. «Jusqu'à présent, note-t-il, je n'ai pas percé le secret de notre insistance à proposer la candidature de Farouk Hosni à l'Unesco.
Nous ne disposons pas, par exemple, d'un projet culturel transfrontalier élaboré en Egypte. Un projet altruiste susceptible d'être proposé au monde comme alternative au choc des civilisations, ou comme contribution à l'expansion des idées de paix et de progrès. Or, nous sommes enlisés jusqu'aux genoux dans des conflits de communautés et de classes. Sous des apparences de calme trompeur, à cause de la répression et de la crise économique, le pays est en pleine ébullition.
Nous souffrons, en plus, d'une décadence culturelle effroyable qui favorise la propagation des idées obscurantistes, du charlatanisme et de la superstition. Ceci ajouté à la déliquescence aiguë et chronique de notre système éducatif qui laisse chaque année sur le carreau des millions de diplômés. Et ce, après avoir tué en eux tout talent et tout esprit d'initiative, et après avoir annihilé toute capacité à nouer le dialogue avec soi ou avec autrui. Uniquement parce que ce système éducatif est basé sur l'apprentissage aveugle et sur la soumission à la maffia des cours particuliers.
Pourquoi alors le régime s'est-il fourvoyé en proposant Farouk Hosni comme directeur d'une institution, fondée sur le dialogue, la participation, le pluralisme et la tolérance ? C'est-à-dire des valeurs à l'opposé des fondements et des orientations de notre régime politique qui a dilapidé une partie de son crédit international en s'engageant dans une bataille perdue.» Mohamed Ismet dit aussi ne pas croire à l'idée très répandue selon laquelle les pays occidentaux ne veulent pas d'une candidature égyptienne. «Les pays occidentaux n'étaient pas hostiles, à mon sens, à l'accession d'un Egyptien à la tête de l'Unesco, affirme notre confrère.
Simplement, ils n'ont pas pu se résoudre à voir Farouk Hosni diriger les destinées de l'Unesco, comme ils l'ont fait pour Boutros Ghali à l'ONU ou pour Fethi Sourour au Parlement mondial. Ce n'est pas seulement parce que Farouk Hosni a commis l'erreur de sa vie en parlant de brûler des ouvrages hébreux ou parce qu'il est accusé d'avoir espionné ses camarades étudiants en Europe dans les années soixante. La vraie raison, c'est qu'il a échoué en tant que ministre de la Culture démocratique en Egypte, et qu'il ne pouvait prétendre, de ce fait, à être le ministre de la Culture du monde.
Voilà pourquoi, l'Occident a comploté contre Farouk Hosni et l'a fait tomber avant qu'il ne franchisse le pas décisif vers la réalisation de son rêve impossible.» A la veille du scrutin décisif, notre confrère égyptien Nabil Charef-Eddine avait publié sur le site du magazine Elaph un article très fouillé dans lequel il avait tenté de montrer le vrai visage de Farouk Hosni.
Il a reproché notamment à Farouk Hosni d'avoir littéralement domestiqué les intellectuels égyptiens et d'avoir été beaucoup plus un homme d'intrigues qu'un homme de culture. Le journaliste a surtout exhumé certaines déclarations de Farouk Hosni au sujet de ses rapports avec les services secrets égyptiens. Il affirme, entre autres, qu'il a collaboré avec eux durant des années et que cette collaboration s'est arrêtée en 1973. Cependant, il avoue qu'il a repris du service en 1985 lors de l'attaque du navire de plaisance A chile Lauro, au cours duquel un touriste américain avait été exécuté par le commando palestinien.
Ces rappels, repris par les médias internationaux, ont été saisis au vol par le philosophe français Bernard Henry-Levy qui a publié un pamphlet contre Farouk Hosni, en raison de son rôle assez trouble dans l'affaire de l' Achile Lauro. Quant à savoir si l’on peut être «pigiste» et collaborer à son rythme avec les services, je laisse le soin de répondre à certains confrères «awacs» qui lisent mes chroniques par réflexe professionnel.
Par Ahmed HALLI
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire