lundi 12 octobre 2009

Faux hymens et bonnes intentions

Pour la première fois depuis sa création, le prix Nobel de la Paix a été attribué à un homme politique, non pas sur ses actions, mais sur ses intentions. Obama n'a encore rien fait, mais il est déjà prix Nobel, comme si l'obamania avait subjugué le jury de Stockholm. Ces honorables jurés ont ainsi récompensé un projet de paix, avant même qu'il soit mis à exécution, avant même que les premiers concernés puissent commencer à y croire.

L'Amérique avait l'habitude de nous ébahir avec ses records sportifs, elle sollicite aujourd'hui nos applaudissements pour des performances à venir. Chassons donc la proie pour l'ombre et réjouissons-nous de voir les meilleures intentions du moment recevoir leur juste prix. Anticipons et jetons aux orties le sacro-saint proverbe universel qui veut que le chemin de l'enfer soit pavé de bonnes intentions.

Mais à l'universalité nul n'est tenu, et nous pouvons, en tant qu'«intentionnalistes » convaincus, nourrir de grands espoirs pour l'avenir. Puisque les bonnes intentions ne mènent plus nécessairement à la géhenne, le Nobel de la Paix est de nouveau à portée de voix. Il s'agit, en effet, des intentions déclarées et déclamées de nos gouvernements successifs, de rétablir la paix et la sécurité, avec quelques milliers de logements à la clé. La prime d'intention attribuée à Stockholm au président Obama ouvre enfin des perspectives nouvelles et réconfortantes aux partisans de nos chefs de projets de paix. Je pense surtout au chef suprême de notre grand projet de paix et de prospérité dont les admirateurs les plus enthousiastes veulent faire à tout prix un Nobel.

C'est désormais possible : les amis de Bouteflika, ou plutôt ceux qui veulent lui en donner toujours plus, pourront se présenter à Stockholm, sans complexes et juste lestés de leurs prévisions à l'horizon 2019 (1). Ne pouvant juger que sur les intentions, les administrateurs du Nobel n'auront pas le droit de nous opposer les mauvais résultats de nos équipes gouvernementales. Aucun de ces messieurs n'aura le toupet de murmurer que «notre» candidat au Nobel représente une communauté culturelle et religieuse qui est trop obnubilée par la guerre pour faire œuvre de paix. Grâce au précédent Obama, nul ne pourra lancer des insinuations malveillantes dictées par la haine et la jalousie.

On n'osera pas nous jeter à la figure le fait que nous n'avons même pas réussi à nous placer dans le classement des 200 meilleures universités du monde (2). Ceci n'a rien à voir, nous irons uniquement à Stockholm pour réclamer la récompense de ce qui fait notre fierté : au chapitre des intentions, nous sommes les meilleurs, et chaque décennie en apporte la preuve. «Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions», c'est aussi sur cette formule qu'a dû cogiter ces dernières années la militante féministe égyptienne Nawal Saâdaoui. Elle s'est volontairement exilée durant trois années aux Etats-Unis pour fuir une société de plus en plus intolérante. Il faut croire qu'elle a encore de grosses réserves d'optimisme puisqu'elle revient en Egypte avec l'intention d'y rester et d'y poursuivre un combat de plus d'un demi-siècle.

Nawal a été d'autant plus fraîchement accueillie par les milieux islamistes et gouvernementaux qu'elle vient de lancer une association internationale, la Solidarité mondiale pour une société civile. Dans une interview à la revue Alyoum-Essabaâ, Nawal a la dent dure contre la presse et les journalistes, notamment ceux qui critiquent ses livres sans les avoir lus. «Vous-mêmes, combien de mes livres avez-vous lus avant de venir me poser des questions ?» lance-t-elle à la journaliste venue l'interviewer. Elle évoque également son rôle de pionnière dans le combat contre l'excision. «J'ai mené une bataille durant soixante ans (Nawal Saâdaoui est née en 1930) contre l'excision.

Quand la pratique a été interdite, le mérite en a été attribué à Suzanne Moubarek, simplement parce qu'elle est la femme du président. » Nawal Saâdaoui croit toujours au projet «américano-sioniste » de dominer la région et de réduire l'Egypte à l'état de simple condominium, au mieux de partager le pays sur des bases religieuses. Elle ne se sent pas concernée par les faux débats qui agitent actuellement l'Egypte comme celui de l'interdiction du niqab dans les enceintes universitaires ou la polémique sur les faux hymens chinois. Le mouvement des Frères musulmans, officiellement interdit mais qui est représenté au Parlement, a lancé une campagne contre le projet initié par Al-Azhar.

Les responsables de la célèbre université religieuse accusent le mouvement de Hassan Albana de défendre le niqab, non pas pour des raisons religieuses, mais pour des motifs moins honorables. Le mouvement se sert, en effet, des femmes portant le niqab pour transporter ses documents compromettants lors des campagnes de police déclenchées contre lui. De plus, des militants islamistes et des terroristes ont souvent utilisé cet accoutrement pour échapper aux recherches. En réalité, ce qui importe aux tenants de l'Islam politique, c'est que le voile ou hidjab soit reconnu et imposé aux femmes comme obligation religieuse et civique. Ils agissent un peu comme nos spéculateurs en fruits et légumes : ils font monter brutalement le prix de la pomme de terre de 15 à 80 DA, provoquant la panique. Une fois le choc éprouvé, les prix redescendent progressivement jusqu'à atteindre 20 DA, ce qui était l'augmentation escomptée.

On finira sans doute par interdire le niqab ou son équivalent afghan la burqa mais ce sera au prix de l'imposition du voile comme obligation islamique ou comme droit d'entrée en Islam (3). Il y a enfin ce débat qui agite la société égyptienne jusqu'au tréfonds, si j'ose dire, s'agissant des faux hymens chinois. Depuis quelque temps, en effet, des «hymens» chinois importés sont sur les étals égyptiens et sont commercialisés à 15 dollars la pièce. Du coup, des théologiens ont suggéré que les personnes utilisant le procédé chinois pour recouvrer leur virginité soient passibles de la flagellation.

Un autre théologien célèbre a proposé, lui, d'interdire purement et simplement l'importation de la virginité chinoise. C'est sans doute le lieu de rappeler que depuis 2007 le mufti d'Egypte, Ali Gomaâ, a autorisé le recours au faux hymen pour les jeunes filles qui auraient perdu le leur «pour une raison ou pour une autre». On peut voir aussi dans cette agitation l'inquiétude des médecins égyptiens, spécialisés dans la chirurgie réparatrice des hymens, devant la concurrence de produits chinois bon marché. Il faut dire que le syndicat des médecins est contrôlé par les Frères musulmans et qu'il autorise encore ses membres à pratiquer l'excision. De là à chercher le lien de cause à effet...

Par Ahmed HALLI

(1) Nous serons à la fin du quatrième mandat, auquel nous n'échapperons pas, j'en suis convaincu, et ce sera l'échéance fixée pour la concrétisation de tous les grands projets formulés en termes d'intentions.
(2) Ce fait ne doit pas nous décourager. Dans quelques années, nous figurerons dans doute au Guiness des records avec l'un des plus hauts minarets du monde (trembles Rabat !). L'Arabie saoudite vient d'achever la construction de la plus grande université du monde, en termes de surface s’entend.
(3) Voir la satisfaction des associations françaises wahhabites après la publication de photos d'une chanteuse de banlieue se voilant comme signe de conversion à l'Islam.

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