Il y a des gens qui doivent vivre sur Jupiter ou Saturne: un jour ils atterrissent et découvrent, tout étonnés, la triste réalité dans laquelle nous pataugeons gaiement (ou tristement), chacun selon ses moyens ou son humeur. A la faveur du déchaînement de violence qui a secoué le pays, d’est en ouest, à propos de rien et de tout, des confrères naïfs s’aperçoivent tout à coup que le tribalisme existe encore dans notre pays, cinquante-cinq ans après que Benboulaïd ait fédéré les 6 wilayas, cinquante-trois ans après que Abane Ramdane ait jeté les bases de la première Constitution algérienne, cinquante et une années après que Ferhat Abbas ait présidé au destin d’un gouvernement aussi provisoire que la démocratie, quarante-six ans après qu’une Constitution importée ait été adoptée en catimini dans un cinéma d’Alger, quarante-quatre ans après le fameux coup d’Etat qui mit fin à toutes les règles de fair-play...
Mais où viviez-vous donc mes pauvres amis? Sur un nuage? Ou au Club des Pins? Je ne pense pas que vous deviez vivre au Club des Pins! (il y a des Algériens qui ne connaissent ce périmètre sacré que grâce aux Atlas fabriqués au temps de Boumediene ou bien grâce à Google Earth). Mais le tribalisme a toujours existé en Algérie. Il a été fondé par Caïn (celui qui tua son frère sous prétexte qu’il ne pensait pas comme lui!). Il fait même partie des gènes des habitants de ce pays. D’abord, la manière dont l’état civil colonial a affublé de noms cette malheureuse population soumise: de l’est à l’ouest, ce ne sont que des Beni (pour les arabophones) et des Aït ou Ath (pour les berbérophones): une manière comme une autre de perpétuer ces clivages encouragés et cultivés par les différents envahisseurs.
On raconte que les Turcs (eux qui ne sont qu’une grande tribu ottomane) utilisaient les Beni pour mater les Aït et vice versa. Tout est permis en politique. Leurs successeurs ont fait de même. Abd El Kader a bien essayé, en vain, d’unir ces tribus sous la même bannière. Il n’a pas pu. Découragé, il a préféré finir ses jours là où le soleil se lève. On a longtemps cru que l’Etoile Nord-Africaine allait gommer les différences de vocabulaires et d’accents en fixant un but à atteindre à ceux qui n’arrivent pas à détacher la boue de leur terre natale de leurs babouches: rien n’y fit.
Ni le PPA, ni l’UDMA, ni le FLN n’ont pu venir à bout de cet atavisme handicapant. Il y a bien les syndicats et le parti communiste qui ont essayé de détacher le citoyen de ses origines, mais l’esprit de clocher (est-ce qu’on peut parler encore de clocher dans un pays où les églises - officielles! - se comptent sur les doigts d’un manchot?) a la peau dure. L’indépendance acquise, tous les Algériens devenus frères ont cru, pendant quelques jours seulement, célébrer une nouvelle ère!
Leurs yeux ont dû se dessiller quand ils apprirent que de nouvelles tribus s’étaient formées ailleurs pendant que les anciennes renaissaient de leurs cendres encore chaudes. Tout le monde se souvient de la visite que fit Ben Bella dans un coin désolé de l’Est perdu: il se trouva face à deux tribunes dressées à l’occasion par les deux tribus, soeurs ennemies. Et puis, le ministre qui a construit tant d’usines autour de son village naturel, ce n’est pas du tribalisme? Celui qui affecte la majorité de crédits à sa wilaya d’origine ce n’est pas du tribalisme? Celui qui peuple son ministère des membres de son beylik natal, ce n’est pas du tribalisme?
Selim M’SILI
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