Il faut d’abord tirer le chapeau, faire plusieurs courbettes répétées devant ceux qui ont maîtrisé la parole, la formule et le mot pour exprimer d’une manière originale la pensée profonde d’une foule de gens qui ne prennent même pas la peine d’y penser. Quand on pense à la force du mot qui charge le message d’une intensité qu’on ne lui soupçonnait pas, on ne peut qu’exprimer son admiration devant l’accouplement de deux vocables qui provoquent l’étincelle qui fera briller le regard du lecteur ou de l’auditeur ou qui dessinera un début de sourire et effacera le froncement de sourcils...
Il y a des formules qui changent le cours des choses: l’exemple le plus probant et qui a fait la bonne fortune d’un publiciste est bien: «La force tranquille!» alliage de deux concepts d’apparence antinomique. Cela n’est pas nouveau sous le soleil puisque le poète, le grand spécialiste des mariages contre nature, a produit «une humide étincelle» qui laisse encore rêveurs ceux que «les mots ont pris par la main».
Jean-Claude Chabrol, l’enfant terrible de la nouvelle vague, racontait dans l’une de ses innombrables interviews qu’il avait commencé à travailler avec un de ses camarades de promotion (Truffaut ou Godard) dans une société de distribution de films et que leur principale tâche était de trouver un titre français aux innombrables films américains que les accords Blum-Byrnes avaient imposés à une France en difficulté.
C’est pourquoi il faut saluer le titre dont le dernier Salon du livre est couronné «Le Roi Livre.» S’il est vrai que lui, préfère la formule inscrite au bas de la fresque qui orne l’entrée du lycée Hassiba Ben Bouali: «L’univers est gouverné par les livres», il n’en demeure pas moins que «Le Roi Livre» est un titre imaginatif, à mi-chemin entre l’épopée du Roi Lear et celle du Roi Lion. Mais cela implique, bien sûr, que le Salon doit mériter son titre. On ne devient pas roi, comme cela, par simple hérédité. Il faut le mériter.
L’une des premières qualités du roi est la combativité: seul le battant arrive à ce siège envié et y demeure. Il doit triompher de tous les obstacles et de toutes les difficultés trouvées sur le chemin. Il doit être intelligent, c’est-à-dire clairvoyant sur les alliances qu’il doit tisser, tout au long de son règne, choisir avec distinction ses conseillers et avec éclectisme ses courtisans.
Il doit s’ouvrir à tous les horizons que la modernité lui présente sans cesser de jeter un regard nostalgique sur un passé récent ou lointain embelli par les professionnels de la reliure ou de l’enluminure. Il doit être auguste et magnanime: il doit savoir oublier les petites fautes passées des uns et fermer présentement les yeux sur celles des autres. Il faut qu’il ait de l’élévation: accepter la louange avec autant de plaisir que la critique: «Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloge flatteur», disait Beaumarchais à quelques encablures de la Révolution française.
Il faut enfin que le Roi Livre soit à la portée de tous: des humbles comme des grands, des adultes comme des enfants, des pauvres comme des riches. Son degré d’accessibilité atténuera peut-être les effets néfastes de sa censure. Mais le titre de «Roi Livre» suppose aussi, qu’il n’y a rien ni personne au-dessus de lui.
Selim M’SILI
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