C’est un vrai régal que d’écouter René Gallissot parler de façon générale et d’Henri Curiel en particulier, à qui il vient de consacrer un livre Henri Curiel : le mythe mesuré à l’histoire. C’était le cas l’autre jour au Salon du livre d’Alger. Communiste («secrétaire général d’un PC incréé», dira l’historien), gaulliste, Egyptien, refugié, fortuné, Curiel était à lui tout seul un catalogue d’atypismes. Les paradoxes qui le caractérisaient n’enlevaient rien à la puissance de ses convictions internationalistes.
Au contraire, ils les galvanisaient. Son engagement en faveur de la cause algérienne était dans le droit fil de cette foi révolutionnaire. Laquelle trouve son origine dans un entrelacs de raisons qui peuvent paraître, vues de loin, disparates. René Gallissot, en historien et en conteur de l’Histoire, va pendant une heure les isoler, analyser, disséquer jusqu’à nous rendre le personnage évanescent d’Henri Curiel présent, palpable, pétri de contradictions et, en même temps, terriblement cohérent. Henri Curiel a été assassiné le 4 mai 1978 à Paris. Cherchez par qui, vous saurez pourquoi ? Pas si sûr !
Si des anciens des commandos delta de l’OAS ont été réactivés pour l’occasion, c’est peut-être pour créer la fausse piste de la revanche ou, du moins, pour laisser tout le monde s’engouffrer dans une seule piste alors que d’autres sont possibles, probables mêmes. «Henri Curiel a été victime de la guerre des services », affirme René Gallissot. Le stratosphérique Alexandre de Marenches, chef du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), service français, «accablé d’une paranoïa», y est pour quelque chose. Seulement, on ne tue pas impunément un mythe. Henri Curiel l’était devenu de son vivant. Il a grandi depuis. Enormément. Et c’est d’un intérêt incalculable que d’écouter Gallissot en parler, fut-ce devant une assistance clairsemée. René Gallissot a apposé un post-scriptum à son propos sur Curiel.
Il brandit le «Radar» de notre confrère Liberté qui affirmait qu’une équipe de cinéma est allée sur les traces de Karl Marx en Kabylie et s’est écrié que l’information l’a surpris. L’auteur du Manifeste du Parti communiste n’a jamais mis les pieds en Kabylie, précise Gallissot. Les journalistes qui écrivent de telles choses devraient vérifier leurs informations. Lors du séjour de Karl Marx a Alger dans une pension de Mustapha- Supérieur, il était tellement malade que même son affirmation d’avoir visité le jardin d’Essai est sujette à caution. Il n’aurait évidemment aucune force pour se rendre en Kabylie.
Ce qui n’empêche pas qu’il se soit intéressé à la Kabylie en tant que communautés rurales en se demandant si elles ne peuvent pas, au moins autant que les communautés industrielles des villes, aller vers le socialisme. Gallissot a noté tout cela dans un essai paru à l’Enag dans les années 1980, Marxisme et Algérie. Les notes de Marx sur la Kabylie serviront à Rosa Luxembourg pour l’élaboration de son Accumulation du capital. Autre scène : on parle de l’Emir Abdelkader. De la meilleure façon qui puisse être ? Ça se pourrait ! Comment les romanciers doivent se saisir de ce personnage historique.
Un illustre absent à la tribune : Waciny Laredj. Un roman, Le livre de l’Emir lui vaut le Prix des libraires algériens en 2006. Les présents : Kebir- Mustapha Ammi, prolifique et intéressant auteur algéromarocain, qui a consacré un essai à l’Emir Abdelkader, Abdelaziz Farrah, un scientifique reconverti à notre plus grand bonheur à la littérature historique qui a réalisé une interview imaginaire de l’Emir, et Dalila- Hassaïne-Daouadji, chirurgien- dentiste, membre de la Fondation Emir Abdelkader, auteur de l’essai L’Emir audelà du temps. Constat : par son action de rébellion conte l’occupant puis par sa reddition (qu'il ne faut pas juger moralement mais apprehender dans son historicité), par sa poésie et sa pratique mystique, l’Emir Abdelkader a incontestablement posé des interrogations qui ont encore une très forte attraction aujourd’hui.
Ce n’est pas un hasard si des tas de bouquins lui sont encore consacrés partout dans le monde. Le débat a montré que cet intérêt peut être amputé par le besoin que l’on ressent de dépouiller l’Emir de ses contradictions. Présenté dans une cohérence téléologique, l’Emir devient une icône muette. Un seul exemple, puisé dans ce débat : l’appartenance de l’Emir Abdelkader à la francmaçonnerie.
On peut, comme Kebir-Mustapha Ammi, accepter l’évidence, car c’est en est une, de cette appartenance et essayer de comprendre et d’expliquer comment et pourquoi elle a été possible comme on peut, et c’est le cas de Dalila Hassaine-Daoudji, non seulement la réfuter mais aussi la mettre sur le compte d’une propagande anti- Emir. Si l’Emir continue de faire opposer l’interrogation à l’affirmation péremptoire, c’est que son cas est une matière inépuisable. Mais pour rendre justice aux auteurs qui ont participé à cette table ronde, il faut dire qu’une intervention dans un débat, qui plus est passionné, peut être un raccourci déformant de leurs recherches.
Il faut donc lire leurs livres, le verbatim ne suffisant pas. Scène dernière : c’est toujours un plaisir d’entendre des auteurs comme Noureddine Saâdi et Malek Alloula, invités pour la première fois au Sila. Parce que ce sont des auteurs de qualité et qu’ils sont très loin de ce star système fric et toc qui a envahi le monde de l’édition et, pis, celui de la littérature. Ils sont les représentants d’une littérature exigeante et discrète, de celle qui reste. Ils ne sont pas les seuls, heureusement. Ce sont plutôt les porteurs de strass qui sont une minorité. C’est bien que le Sila revienne à l’essentiel, c'est-à-dire à la littérature appelée à s’enraciner et à durer.
Par Arezki Metref
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire