Le directeur posa enfin la feuille sur le bureau et me fixa. Il esquissa un sourire et me dit: «Donc, vous comptez me fournir chaque jour, les états d’âme d’un couple moyen algérien qui se débat dans ses problèmes quotidiens?» C’est un peu cela... Encore que je ne prétends pas écrire un roman sur la vie quotidienne...
-Aurez-vous assez de souffle pour trouver chaque jour un thème pour alimenter une chronique?
-Oh! vous savez, la vie quotidienne est assez embarrassante pour que chacun ne puisse pas y trouver chaque jour les ingrédients nécessaires pour donner des ailes à une inspiration hésitante...
Là, je commençai à me sentir dans mon élément. J’avais le sentiment que le directeur n’assurait son rôle de directeur qu’en deux occasions: quand il recrutait quelqu’un et quand il le sanctionnait.
Quand il recrutait, il faisait montre de son professionnalisme, de sa générosité et quand il sanctionnait, il affichait sa rigueur et son omnipotence. Alors je lui déballai, comme une leçon bien apprise, tous les articles de ma panoplie: «Vous connaissez la vie quotidienne de nos concitoyens: il y a là de quoi écrire chaque jour un roman d’une navrante banalité tant les problèmes sont communs à tous les Algériens moyens.
Il y a d’abord les relations entre les deux protagonistes du drame: le couple vieillit mal et toutes les rancoeurs jadis amorties par les espérances rejaillissent. L’un d’eux devient aigri tandis que l’autre reste indulgent car il a encore dans l’esprit et dans le corps le souvenir des douces années. Et puis autour, ma foi, il y a une infinité de problèmes à traiter chaque jour. D’abord, les problèmes de la cité où vit le vieux couple: la cité est monstrueuse, hétéroclite, sale, poussiéreuse ou boueuse, selon les saisons.
Les espaces verts sont mal entretenus, les rues sont défoncées, les ordures ne sont pas enlevées tous les jours, les moustiques et les cafards pullulent. Et puis il y a le bruit. Les voisins ne sont pas commodes: il y en a qui se lèvent à quatre heures du matin et ne se font pas du tout discrets tandis que d’autres commencent à vivre à onze heures du soir.
On peut écrire des pages entières sur le manque de civisme de nos concitoyens: ceux qui jettent ordures et eaux usées par les balcons, ceux qui jettent leurs enfants dans les cages d’escalier, ceux qui sont durs d’oreille et qui partagent avec nous leurs programmes télé ou radio. Et on peut, sans exagérer, rapporter les éternels conflits entre ménagères, qui naissent chaque jour à propos de tout et de rien: disputes d’enfants, commérages. Il suffit de se rappeler les comédies italiennes: nous vivons en plein dedans.
Et dans chaque conflit, c’est l’occasion de brosser un portrait de compère et de commère. Il y a là toute une galerie à croquer, chacun avec ses caractéristiques, ses traits particuliers. Et puis, à côté, il y a le marché, l’école, la mosquée dont les haut-parleurs sont exagérément poussés. Il y a les jours de Ramadhan, les jours de football. Et puis il y a la famille...»
Selim M’SILI
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