lundi 16 novembre 2009

Entre minbar et banc de touche

Je m'imagine la déception des millions d'Algériens après la défaite inattendue de l'EN au Caire. Si l'Algérie a perdu, ce n'est pas parce que Dieu a fait la passe décisive à l'équipe égyptienne, championne de la prosternation tous azimuts. Sur le plan de la dévotion, nous faisons désormais jeu égal avec nos adversaires, au point de semer la confusion dans la comptabilité céleste. Seulement, nous ne sommes pas de force à lutter contre les Egyptiens sur ce terrain-là.

Voyez le succès du «flyer» représentant le joueur vedette Zidane, mains tendues et implorantes vers le ciel, avec cette invocation «ya Rab», qui n'a pas nécessairement la même signification chez nous. C'est ainsi que l'on met la providence et les prieurs de son côté. Franchement, les enfants, n'essayez pas de rivaliser avec les «sadjidines» sur le plan de la prosternation. «Forts alikoum bezzef», trop forts pour vous, même si votre piété surpasse, au fond, la leur et qu'elle résiste mieux aux tentations qui les taraudent dans leurs hôtels. Et puis, vous avez cet entraîneur, malencontreusement appelé «Cheikh». Il oublie souvent qu'il a été appelé pour mener nos joueurs à la victoire et non pas pour diriger les prières du haut de son minbar.

Combien Saâdane a-t-il reçu d'avertissements pour s'être hasardé trop près du terrain de jeu ? Je vais vous le dire, aucun. Parce que l'entraîneur national est littéralement rivé à son banc, ne bougeant même pas pour se dégourdir les jambes. Shehata, l'Egyptien, se démenait comme un beau diable, dans les derniers moments du match, pour haranguer ses joueurs. Il a peut-être moins de sens tactique, moins de roublardise que Saâdane, aux dires de nos commentateurs sportifs, mais il a de la présence. Et c'est ce qui a payé ce samedi au stade du Caire, alors que les Egyptiens y croyaient encore et que certains joueurs algériens avaient déjà un pied en dehors du terrain. Il y a des moments comme celui-là où les échafaudages élaborés en laboratoire et à l'entraînement ne suffisent pas.

On s'en aperçoit aisément en revoyant ces temps morts, généreusement accordés par l'arbitre sud-africain, désormais surnommé «Monsieur six minutes». Il fallait, il faut donc tenir compte de ces impondérables et, surtout, comprendre pourquoi nos joueurs si doués et si talentueux s'effondrent souvent en fin de match. Récapitulons une fois : les Egyptiens savent solliciter le ciel mieux que nous, et ils proclament ouvertement que leurs joueurs et leur peuple sont des monuments de piété.

Ce qui n'est pas notre cas, a contrario, même s'ils rappellent in fine que nous sommes «frères par le sang et par le religion». Car dans ce cas, faut-il le rappeler, les Coptes d'Egypte et les trente-cinq protestants d'Assi-Youssef comptent pour du beurre. Sur le terrain, l'entraîneur de l'Egypte, Shehata , communique mieux et a plus de contact avec ses joueurs. Ce que ne fait pas le «Cheikh» Saâdane, à notre connaissance, à moins que ses joueurs soient nantis d'oreillettes ultras discrètes. Il est certain, toutefois, que les Algériens sont individuellement plus forts que leurs adversaires égyptiens, mais si on reconduit le schéma du Caire, ce ne sera pas facile à Khartoum.

On peut se demander, au demeurant, pourquoi la Fifa a choisi Khartoum comme «terrain neutre». Il faudra compter avec l'improbable neutralité du public, géographiquement et historiquement plus proche de l'Egypte que de l'Algérie. Car même si Omar Al-Béchir, président du Soudan, est l'ami de Bouteflika, aux dires des fervents supporters de la tyrannie, il est encore plus l'ami de Hosni Moubarek. Or, ce dernier a beaucoup plus à perdre en cas d'élimination de l'Egypte. Au passage, j'ai particulièrement apprécié samedi soir le trait d'ironie de l'ancien international Chabane Merezkane à propos du Soudan. «Oui, je sais que le Soudan est un pays frère, a-t-il dit, mais à force de jouer dans les pays frères, l'équipe nationale va être décimée».

Dans le climat d'euphorie qui suivrait une éventuelle qualification de son pays au Mondial, Moubarek pourrait faire passer plus facilement son projet de hisser son fils Djamel sur le trône d'Egypte. Ce qui n'est pas le cas de notre président qui ne pense, lui, qu'à bien finir son mandat actuel et à se préparer pour un cinquième si tout va bien. En attendant, une participation algérienne à une phase finale de Coupe du monde, ça vous redore le blason et ça coupe, pour un moment, l'envie de déclencher des émeutes. Car, après les harraga, l'engeance que craignent le plus nos gouvernants, c'est celle des émeutiers. Cette variété qui n'a pas le pied marin se manifeste trop souvent dans les grands centres urbains et sous les projecteurs des télévisions étrangères.

Cela dit, la Fifa a eu tort de faire jouer quand même le match, en dépit des graves incidents de jeudi dernier. Il faut noter aussi que les protestations du gouvernement algérien ont été un peu faiblardes et n'ont pas donné l'impression d'un pays désireux d'aller jusqu'au bout. Ce qu'ils auraient dû faire, au moins pour la forme, à partir du moment où la duplicité des autorités égyptiennes a été démontrée. Quelques rappels : jeudi, en début de soirée, le quotidien Al- Ahramet l'hebdomadaire Alyawm Essabaamettent en doute la réalité de l'agression dans leurs éditions électroniques.

Ils affirment, citant des sources non identifiées, que ce sont les joueurs algériens eux-mêmes qui ont saccagé le bus qui les transportait. L'hebdomadaire met en ligne plusieurs articles dénonçant le "complot" algérien. Dès le lendemain matin, la thèse prend forme et elle est officialisée par les autorités policières. Selon cette thèse, alors que l'autobus se dirigeait tranquillement vers l'hôtel, les joueurs algériens se sont mis à briser les vitres et le pare-brise du bus avec des extincteurs. C'est en tentant de saccager le véhicule que quelques joueurs se sont blessés. Témoin providentiel et héros improvisé, le chauffeur du bus, Egyptien bien sûr, a réagi en bon patriote soucieux de protéger les bus de son pays. Le conducteur a donc lâché son volant pour aller se colleter avec les joueurs algériens et les empêcher de continuer à saccager le bus qui continuait à rouler. Car ce bus est muni, semble-t-il, d'un système de pilotage automatique comme les avions.

C'est du moins la conclusion des journalistes présents à la suite de ce récit rocambolesque. La télévision égyptienne va s'emparer, évidemment, de cette thèse et elle diffusera même un montage vidéo, dans lequel elle reprend sans vergogne des images filmées à l'intérieur du bus par Rafik Saïfi lui-même. Heureusement que cette vidéo, qui prouve la réalité de l'agression, avait été diffusée déjà sur la Toile bien avant son exploitation honteuse par la télévision égyptienne. On peut relever que le Festival international du cinéma du Caire se tenait à quelques encablures de là, ce qui a peut-être inspiré les affabulations égyptiennes. Arrive, enfin, le témoignage incontestable et incontesté du délégué de la Fifa qui met à terre L'invraisemblable scénario élaboré par la police, fignolé par les médias, et accepté par toute l'Egypte comme vérité d'Evangile, pardon du Coran.

En dépit de tout ceci, les aveux implicites des Egyptiens euxm-êmes et le rapport accablant de son délégué, la Fifa a maintenu la rencontre. Sur les sites Internet, pendant ce temps, les supporters égyptiens ont continué à accuser les Algériens d'avoir simulé l'agression. Emporté par son patriotisme, un Egyptien a lancé : «Arrêtez de parler de pays frères, nous sommes l'Egypte des Pharaons et eux, c'est l'Algérie des Amazighs». Si seulement on avait su ça auparavant, on se serait sûrement épargné toutes ces émotions et toutes ces rancœurs, mes bien chers frères.

Par Ahmed HALLI

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