mardi 13 octobre 2009

Vie privée et vie publique du système

Assistant à une conférence sur “l’économie informelle” où il fut subsidiairement question d’“État rentier”, Belayat, dirigeant du FLN, a émis cette lumineuse démonstration : “La preuve que l’État algérien n’est pas rentier, et n’est donc pas totalement dépendant de ses hydrocarbures, c’est le grand développement de son secteur pétrolier.”

La réaction illustre plutôt l’irritabilité de nos responsables quand leurs dégâts sont signalés par d’autres que leurs supérieurs, mais, dans notre cas, la conférencière américaine, visiblement au fait de notre légendaire susceptibilité, s’était bien gardée de qualifier l’Algérie d’État rentier.

Mais, apparemment, la famille du système ne supporte même pas qu’il soit fait allusion à la vie privée du système. Parce que le système algérien a une vie publique et une vie privée.
Faite de légitimité révolutionnaire et de parti unique du peuple, de légitimité démocratique et de multipartisme, d’investissements colossaux de l’État ou d’énormes IDE, de taux de croissance toujours satisfaisants, de développement ininterrompu de l’agriculture, de l’industrie et des services, d’améliorations des conditions de vie de la population, de justice sociale, la vie publique du système est une vie rêvée qui explique la confiance sans cesse renouvelée du peuple à ses dirigeants.

Fait d’autoritarisme, de fraude électorale, de répression, de bureaucratie, de manipulation idéologique, de chômage, de sous-logement, de médiocrité scolaire et universitaire, de passe-droits, de détournements fonciers et patrimoniaux, de corruption, d’abandon social et de faramineuses rentes, la vie privée ne doit pas être étalée devant une opinion qui doit se contenter d’avaler le discours unique.

C’est pour cela qu’il n’y a qu’une seule télévision, la télévision du pouvoir, une seule radio, la radio du pouvoir. Le système aurait aimé qu’il n’y ait qu’un seul parti et un seul journal si un certain 5 Octobre n’en avait pas voulu autrement. Mais il s’est rattrapé depuis : il a créé une multitude de partis et de journaux pour parasiter la géographie politique et médiatique du pays. Vivant de la rente, ils sont autant de vigiles contre les éventuelles atteintes à la vie privée du système.

La rente ne sert pas, en effet, qu’à engraisser la nomenklatura. Dans un système qui a tué l’engagement, on trouve toute une armée de “leaders” et de “militants” prête à battre campagne ou à casser de l’opposant, au moindre appel du centre dirigeant. Et des dizaines de journaux prêts à se lever comme une seule “une” contre les détracteurs de la bonne gouvernance nationale. Partis, syndicats, associations, journaux souscrivent au budget de l’État, lui-même aux neuf-dixièmes financé par la fiscalité pétrolière. Même les entreprises, directement pour celles du secteur public et indirectement pour celles du privé, viennent boire à la fontaine de la rente. Le Smig seul pose problème : il faut le lier à la productivité, nous dit-on.

C’est dans ce cercle vicieux qui condamne le pays à un surplace politique et économique, le peuple à l’inégalité et la culture à la régression alimentaire que Belayat est allé puiser son aberrante tautologie : l’Algérie ne serait pas rentière parce qu’il y a le pétrole — et rien que le pétrole, justement — qui va !

Par : Mustapha Hammouche

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