Les Algériens reviennent d'une folle nuit qui n'aurait pas dû être si folle que ça. En remettant les pieds sur terre, ils découvrent que la boue n'a pas totalement déserté leurs semelles et au-dessus de leurs têtes, le ciel est toujours porteur d'orages.
La boue comme la pluie ne mènent pas toujours aux mêmes endroits. La première envahit des espaces qu'elle ne pouvait théoriquement pas atteindre parce que censée être depuis longtemps chassée par le bitume.
Elle n'aurait pas dû non plus menacer des foyers et des hommes, mais elle est là, la boue, à des endroits insoupçonnés, à prendre par la main des Algériens qui ne savent pas exactement où elle les accompagnera. Les pistes sont brouillées et ils peuvent faire du sur-place ou pire, s'enfoncer.
C'est sérieux, la gadoue, quand elle est fatale, défie tous les programmes orsec et déjoue tous les complots ourdis et toutes les déclarations de bonnes intentions et échappe à tous les maillages, pour se présenter au final, ponctuelle comme une Suissesse à ses rendez-vous sacrés d'automne.
Encore heureux qu'elle ait épargné le stade Tchaker, la nuit folle qui n'aurait pas dû être si folle que ça aurait sûrement été encore moins drôle.
Elle a quand même abîmé d'autres champs. A Mostaganem, le nouveau royaume de la pomme de terre, elle aurait empêché les agriculteurs d'accéder aux récoltes et du coup le tubercule, qui décidément n'en rate pas une pour flamber de nouveau au marché, a encore approché le prix du kiwi. Et la boue ne vient jamais toute seule, comme une grande.
Ce n'est pas de sa faute à elle, mais de la pluie qui la mélange à la terre pour en faire une glue désagréable et parfois dangereuse.
«L'arbre veut bien rester tranquille, c'est le vent qui ne le veut pas», nous enseigne un proverbe chinois. Ah, la pluie, elle fait beaucoup de choses, mais jamais toute seule.
Elle s'est fait aider par la vétusté des réseaux d'évacuation pour inonder des villes et des villages, par les barrages qu'elle ne pouvait quand même pas remplir s'il n'étaient pas là, par l'archaïsme des techniques de production pour détruire une partie des récoltes de Deglet nour et par les hommes qui ne supportent pas le parapluie pour les mouiller jusqu'à attraper la crève.
Elle nous a même - toujours pas toute seule - aidés à réaliser une production d'orge et de blé tout à fait exceptionnelle qui nous rapproche de l'autosuffisance. A moins que, à Dieu ne plaise, la boue ne vienne tout remettre en question l'année prochaine.
Quand même pas, il devrait y avoir des nuits et des saisons de folie sans lendemain de langue de bois.
Slimane Laouari
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