«Mais que pourrais-je avoir comme problème avec Sid Ahmed Ghozali ? Ou avec Amara Benyounès ? Ou avec Mohamed Saïd ? Ou je ne sais qui encore ?». C’est Bouteflika qui parle. C’était lundi lors de la réunion du Conseil des ministres, selon des confidences d’une source très bien informée.
Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - «Eh bien aucun», répondait Bouteflika à sa propre question. «Mais si j’avais donné mon accord pour ces personnes, je devais également le faire pour les gens de l’AIS. Madani Mezrag aussi a déposé une demande pour constituer un parti» ! Silence religieux, bien sûr comme à chaque fois que Bouteflika prend la parole et tous les membres du gouvernement attendent la suite. «Il est hors de question, mais alors hors de question de permettre aux gens qui ont mis le pays à feu et à sang de revenir sous quelque forme que ce soit sur la scène politique. » Il s’explique encore : «Vous savez pourquoi nous étions bloqués sur cette question jusque-là ? Parce que nous avons un vide juridique.» A ce moment, tout le monde aura compris. C’était lui qui avait instruit Ouyahia d’imposer un article explicite dans la nouvelle loi sur les partis politiques concernant les éléments de l’ex-FIS. Une question qui n’avait pas fait l’unanimité au sein du gouvernement qui avait consacré pas moins de cinq réunions à la loi sur les partis. Certains ministres, notamment du MSP, s’opposaient à cet article, expliquant que cela reviendrait à remuer le couteau dans la plaie et que, de toute les façons, la charte pour la paix et la réconciliation nationale avait définitivement tranché sur cette question. En face, Ouyahia, soutenu par Belkhadem et la majorité des ministres insistant au contraire sur la nécessité d’introduire cet article. «A la quatrième réunion, Ouyahia est venu avec un document préparé par ses services», nous confie notre source. Ce document préparé par les services du Premier ministère et dont nous avons une copie, est intitulé tout bonnement : «La question du parti dissous dans la nouvelle loi organique sur les partis politiques». Il commence par évoquer «la situation actuelle». En fait, c’est un rappel cinglant de la disposition de la charte «(…) le peuple algérien ne peut oublier les tragiques conséquences de l’odieuse instrumentalisation des préceptes de l’Islam, religion de l’Etat. Il affirme son droit de se protéger de toute répétition de telles dérives et décide, souverainement, d’interdire aux responsables de cette instrumentalisation de la religion, toute possibilité d’exercice d’une activité politique, et ce, sous quelque couverture que ce soit. Le peuple algérien souverain décide également que le droit à l’exercice d’une activité politique ne saurait être reconnu à quiconque ayant participé à des actions terroristes (…)». Le document de Ouyahia précise juste après que «cette volonté souveraine du peuple a été reproduite dans l’ordonnance n°06.01 du 27 février 2006, portant mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale (…). La révision de la loi organique relative aux partis politiques doit à présent, lit-on encore dans ce document, prendre en charge cette position. Cela est d’autant plus nécessaire que, dans le cas contraire, l’adoption de la nouvelle loi organique sur les partis entraînerait alors l’abrogation de l’article 26 de l’ordonnance du 27 février 2006, et donc remise en cause de la décision exprimée par le peuple à travers son approbation massive de la Charte (…)». Le document du Premier ministre passe ensuite à un deuxième chapitre, intitulé «Options pour un article sur cette question, dans le projet de loi relative aux partis politiques». Et elles seront deux propositions. La première «consiste à reproduire intégralement le libellé de l’article 26 de l’ordonnance de février 2006 (…) Cependant, prévient encore le document, le choix de cette option reviendrait à bannir de la vie politique tous les éléments ayant pris part à la tragédie nationale, et cela pourrait s’avérer une position extrême». Par «position extrême», et selon notre source, on entend l’application dudit article «sur non seulement la base de l’ex-FIS mais les trois millions d’électeurs du FIS en 1992».
«Des militants FIS, vous en avez tous»
D’ailleurs, en Conseil des ministres, Bouteflika, évoquant cette question, fera remarquer que «de toutes les manières, d’anciens militants du FIS, vous en avez déjà tous ! On y trouve au FLN, au RND, au Hamas (ancienne appellation du MSP, Ndlr) et même chez Louisa Hanoune» ! En fait, nous révèle toujours notre source, «les divergences au sein du gouvernement ne concernent pas les anciens dirigeants du FIS, les repentis ou les militants de ce parti. Sur ce point, tout le monde est d’accord. Les divergences concernent seulement la base du parti dissous». Le document de Ouyahia propose la solution dans «l’option n°2. Cette seconde option, précise le document, viserait à sauvegarder la position décidée par le peuple d’interdire le retour du parti dissous ainsi que de ses principales figures sur la scène politique. Dans cet esprit, l’article 3 bis du projet de loi organique relative aux partis politiques se lirait comme suit : le droit de fonder un parti politique ou de prendre part à la fondation d’un parti politique est interdit pour toute personne responsable de l’instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale. Ce droit est interdit également à quiconque ayant participé à des actions terroristes, refuse de reconnaître sa responsabilité dans la conception et la mise en œuvre d’une politique prônant la violence contre la Nation et les institutions de l’Etat». Au final, c’est cette proposition que l’on a retenue, tant au niveau du gouvernement que dimanche dernier en Conseil des ministres. C’est désormais l’article 4 de la loi sur les partis politiques. Avec un ajout de taille, toutefois, fait sur proposition de Noureddine Yazid Zerhouni. L’article qui enterre le FIS se décline donc comme suit : «Le droit de fonder un parti politique ou de prendre part à la fondation d’un parti politique ou (l’ajout de Zerhouni ndlr) d’assumer une responsabilité au sein d’un parti politique (….).» Ce faisant, la voie est désormais ouverte pour l’agrément des nouveaux partis…
«Nous n’avons pas de télévision»
Autre dossier qui avait particulièrement «passionné» Bouteflika au cours de la réunion du Conseil des ministres, le nouveau code de l’information. «Le ministre de la Communication l’avait présenté dimanche. A la fin de la présentation, le président prend la parole. «Ecoutez, ce texte est trop sensible pour le traiter à la légère. Nous sommes un peu fatigués et je préfère que nous le traitions demain», nous confie notre source. Et le lendemain lundi, à l’ouverture des travaux, Bouteflika se distinguera par une sortie pour le moins surprenante : «Ecoutez ! Nous n’avons pas de télévision ! Notre télévision n’est même pas classée. Sur ce terrain, nous sommes complètement désarmés, dépassés ! Nous sommes agressés de partout et nous n’avons rien pour nous défendre !» Devant des ministres médusés, Bouteflika s’adressera au ministre de la Communication : «Ecoutez, ce texte n’est qu’un texte. Il ne sera d’aucune utilité sans des décisions et des mesures effectives. Vous avez carte blanche pour cela, mais il faut redresser le secteur !» Il ne s’arrête pas là : «Et puis, même notre presse écrite est médiocre ! Il faut remédier à tout cela» ! On croirait entendre parler un chef de l’opposition !
K. A.
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