A quoi peut servir une thèse de doctorat en droit sur le rôle de l’Etat dans la recherche scientifique en Algérie ? Principalement à combler le vide sidéral qui entoure l’étude des aspects normatifs et institutionnels dans le développement d’un secteur particulier. Pour des raisons liées à la prééminence de la puissance publique dans nos sociétés, aucune sphère d’activité ne peut échapper à son impulsion.
A ce jour, l’importance de la recherche scientifique ressortait fortement dans le PIB algérien en raison des fortes dépenses de prospection pétrolière et gazière. L’état des lieux reste entièrement à faire partout ailleurs. C’est ce que vient de faire avec brio Mohamed Ahmidatou dans une thèse de doctorat en droit public récemment soutenue à la faculté de droit d’Alger(*). A l’instar des autres activités socioéconomiques, la recherche scientifique nécessite une politique, une organisation et des procédures de financement. Le texte de base qui la régit actuellement est la loi n°98-11 du 22 août 1998 portant loi d’orientation et de programme à projection quinquennale sur la recherche scientifique et le développement technologique (LOPRSDT).
Cette loi a été modifiée en 2008. Pour les besoins de l’étude de la nature des instruments juridiques utilisés pour l’institutionnalisation de la recherche scientifique – comparativement aux instruments classiques utilisés dans les autres secteurs – l’auteur passe en revue son organisation générale, ses structures opérationnelles et ses organes d’administration et de gestion scientifiques. Par ailleurs, il passe au peigne fin les instruments de fonctionnement de la recherche scientifique en s’intéressant à leur financement, leur programmation et leur valorisation.
Lourdeurs, doubles emplois et court-circuitages résultent du nombre impressionnant des organes politiques et scientifiques et des structures administratives centraux de la recherche scientifique. «Les commissions parlementaires de l'Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation, le Conseil national de la recherche scientifique et technique (CNRST), qui est présidé par le Premier ministre et le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS) sont tous des organes politiques spécialisés dans la recherche scientifique, au regard de la nature de leurs missions». «De leur côté, l'administration centrale du MESRS et les quatre agences thématiques, à savoir l’ANDRU, l’ANDRS, l’ANVREDET et l’ANDS sont des structures administratives». «Enfin, les organes scientifiques sont constitués du Conseil national de l’évaluation (CNE), des Commissions intersectorielles de promotion, de programmation et d’évaluation de la recherche scientifique et technique (CIPPERST), des comités sectoriels permanents de la recherche scientifique et du développement technologiques (CSPRSDT), de la Conférence nationale des universités et des Conférences régionales des universités se sont des organes collégiaux délibérants composés de chercheurs et chargés, selon le cas, de l’évaluation, de la coordination, de la programmation et de la préparation de la décision dans le domaine de la recherche scientifique ».
La seule énumération de cet imbroglio finit par achever le plus téméraire des chercheurs. De là à mettre en harmonie et en action tout ce monde là dans un contexte de délabrement général, c’est une autre question. S'agissant des structures opérationnelles de la recherche scientifique, elles sont classées en deux grandes catégories : les structures dotées de la personnalité morale et celles qui n’ont pas cet attribut. Pour ne citer que les structures dotées de la personnalité morale, elles épousent à elles seules cinq types de statuts différents, en plus de quatre structures ayant pris chacune un statut particulier. Il s'agit :
- des deux formes classiques d'établissements publics, l’EPA et l’EPIC,
- de l’établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST) ;
- de l’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), qui comprend l’Université, le Centre universitaire et l’Ecole hors université ;
- des Centres de recherche développement (CRD).
Enfin, pour ce qui est des structures ayant des statuts particuliers, l’Institut national d’études de stratégie globale (INESG), l’Académie algérienne de langue arabe (AALA), le Commissariat à l’énergie atomique (Comena) et l’Agence spatiale algérienne (ASAL), chacune d'elles possède un statut propre adapté à la nature de ses missions et notamment aux implications de celles-ci sur le plan international. Le dispositif juridique n’est pas facile à manier et semble impuissant à générer des effets structurants, une «contamination positive» à partir des îlots sur lesquels est concrètement assise aujourd’hui la petite portion dévolue, même virtuellement, à l’économie du savoir et de la connaissance.
Dans un tout autre domaine, M. Abdelkader Djeflat avait préalablement mené une réflexion autour de la question : «L’Algérie dans l’économie de la connaissance : état des lieux et perspectives ». L’objectif est d’opérer une mutation dans le régime de la croissance. Le régime actuel de la croissance est tiré par les hydrocarbures, avec une production industrielle en baisse (moins de 5% du PIB) ; les exportations hors hydrocarbures ne dépassent pas les deux milliards de dollars ; la vulnérabilité aux chocs extérieurs y est élevée et le potentiel connaissance n’y est que partiellement mobilisé.
Le défi est de lui substituer un nouveau régime de croissance tiré par le savoirfaire et l’innovation, capable d’asseoir durablement des rythmes élevés de 67 %, avec une optimisation de l’usage de l’outil de production (il tourne aujourd’hui à 45 % de ses capacités), une plus grande intégration de l’immatériel dans la production de richesses 43 % des PME n’ont aucun investissement immatériel aujourd’hui), une relance des exportations à haute valeur ajoutée technologique, l’accélération de la création d’emplois (7 nouveaux postes de travail doivent être créés à l’horizon 2020), une plus grande productivité globale des facteurs de production, etc. On attend également de l’EFC qu’elle participe à combler le déficit de croissance cumulé, en raison du lourd passif des années 1990.
Le tournant à négocier consiste ici à convertir les opportunités offertes par les revenus pétroliers en actifs d’innovation. Les quelque 20 000 chercheurs recensés constituent, à cet effet, un levier non négligeable, conjugué à l’apport même d’appoint des expatriés. Ils forment un capital savoir multiplicateur de création de valeur ajoutée. Les observations critiques persistantes portent plutôt sur des freins liés aux mentalités et aux prédations alimentées par les rentes. La première de toutes est que, pour faire bon usage des 100 milliards de dinars consentis à la recherche scientifique au titre du second plan quinquennal, il convient de dépasser la vision dominante réduisant l’innovation à la recherche/développement sur les produits physiques.
Cet aspect ne représente que l’une des trois dimensions de la question qui s’appuie également sur les volets scientifique et technologique, les innovations d’entreprises en matière entrepreunariale, de marketing, de gestion (cet aspect est plus connu sous le nom d’effet Walmart, une stratégie de management consistant à faire du profit à tous les étages). De même qu’elle recouvre le dynamisme et le génie créateur de jeunes de la classe d’âge des 25-35 ans, la «Created Class» en réhabilitant les filières scientifiques et technologiques (30 % des effectifs universitaires seulement), au détriment de celles, pléthoriques, des sciences humaines (70 %), tout en jugulant la fuite des cerveaux.
Par Ammar Belhimer
(*) Mohamed Ahmidatou, L’Etat et la recherche scientifique, thèse de doctorat en droit public sous la direction du professeur Mohamed Boussoumah, Alger 2009.
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